Revue de presse - 09/10/2023
[Portrait] Cédric de Lestrange, l'entrepreneur
Cédric de Lestrange le reconnaît volontiers, il est tombé dans la marmite immobilière un peu par hasard. Ce Parisien pur jus, troisième d’une fratrie de quatre enfants, passera l’essentiel de sa scolarité dans un collège jésuite d’où il conserve une certaine exigence envers lui-même et une certaine spiritualité. À 16 ans, la vie du jeune adolescent bascule à la mort de son père. Le cadet sent qu’il doit assumer la responsabilité du foyer et plonge dans le travail pour « ne pas être un poids » pour sa famille.
« On va y arriver », lui dit toujours sa mère, face à mille difficultés. Pour y arriver, Cédric de Lestrange va intégrer Sciences Po et complétera sa formation d’un cursus économique à l’ESCP. Élève « doué », mais aussi « bosseur » passionné par la chose publique, il va intégrer l’ENA – promotion Copernic – non sans s’être auparavant acquitté de ses obligations militaires. Il fut même l’un des tout derniers à faire ses classes en 1999, avant que Jacques Chirac ne supprime le service militaire. Et est très certainement l’un des tout derniers à se féliciter de l’avoir accompli. Il fera le tour du monde sur la frégate La Fayette, celle où un syndicat du crime réussit à voler un hélicoptère au nez et à la barbe de la Marine nationale dans un James Bond (Golden Eye pour les non-initiés). Il y découvre « la vie d’une micro-société » où 160 militaires cohabitent dans un espace clos (La Fayette est un navire furtif, c’est-à-dire sans hublot) pendant des missions pouvant durer jusqu’à quatre mois. Il passe par le Golfe persique, le canal de Suez, la Jordanie, le Bangladesh, Djibouti où il dînera avec le fantasque Jean-François Deniau dans sa maison de Tadjoura. Au-delà des voyages, Cédric de Lestrange restera un passionné de géopolitique, ce qui lui vaudra d’écrire un livre sur le sujet en 2005*.
Les années Bercy
Entré en 2000 à l’ENA, Cédric de Lestrange se retrouve à Colmar aux côtés de Dominique Dubois, futur préfet de Corse. Il fera un crochet de six mois à Berlin dans le cadre d’un échange comme « diplomate allemand » pour travailler notamment sur le paquet fiscal, et connaîtra le Berlin alternatif 18 mois seulement après l’installation du gouvernement d’une Allemagne réunifiée. À sa sortie de l’ENA, il rejoint Bercy pour un bail de neuf ans. D’abord cinq ans à la direction générale des Impôts comme fiscaliste, puis quatre ans au cabinet du ministre des Finances, Éric Woerth, puis François Baroin, entre 2007 et 2011.
N’attendez pas de Cédric de Lestrange qu’il sonne l’hallali de Bercy. Lui, vante l’administration la plus efficace, arguments à l’appui. D’autant qu’il a participé à la révision générale des politiques publiques prônée par le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy… dont il rejoint dès la fin 2004 l’équipe de campagne sous la houlette d’Emmanuelle Mignon. Il contribuera également à rédiger une partie du programme du candidat de l’UMP.
Le virus de l’immobilier
L’immobilier, c’est avec Éric Woerth qu’il va y goûter. Plus précisément, l’immobilier de l’État. Après l’inventaire puis les cessions pendant les années fastes, Cédric de Lestrange va s’intéresser au stock mal géré en plus du flux des opérations. Il faut dire que la grande crise financière de 2008 a stoppé net le marché immobilier. Le « Monsieur productivité » de Bercy va faire de la sobriété immobilière la nouvelle stratégie de l’État. L’objectif est de ramener un ratio de 20 m2 par poste de travail et d’économiser sur la facture immobilière. Cédric de Lestrange lance notamment un mouvement de renégociation à la baisse des loyers payés par l’État. Il s’attelle également à un sujet plus délicat, l’entretien du parc immobilier public, et veut enclencher une dynamique de rénovation énergétique à l’heure des prémices du Grenelle de l’environnement et de sa déclinaison pour l’immobilier avec le Plan Bâtiment durable. Il ferraille aussi avec ses homologues de l’administration qui n’avaient pas compris (ou pas accepté) que Bercy pilotait désormais l’immobilier de l’État depuis la suppression du principe de l’affectation.
« J’ai attrapé le virus de l’immobilier », reconnaît-il. Un virus qu’il va pouvoir développer dans le privé, chez Bouygues Immobilier, où le patron de l’époque François Bertière a repéré ce jeune conseiller. En 2011, il quitte l’administration pour intégrer le département Immobilier d’entreprise piloté par Éric Mazoyer, et se concentre sur les grands utilisateurs. Avec un certain succès, comme en témoignent les sièges de Deloitte à Lyon, Unilever, Schneider et Franfinance à Rueil-Malmaison, Schneider à Grenoble, CMA-CGM à Marseille… On y retrouve toute une génération de « green offices » qui préfigure les immeubles vertueux et sobres d’aujourd’hui. « Bouygues Immobilier était à la pointe de l’innovation à cette époque, aussi bien dans le résidentiel qu’en immobilier d’entreprise. Nous avons été les premiers à proposer des garanties de charges, nous avons été pionniers dans une offre ‘‘plug & play’’ pour les entreprises », se souvient Cédric de Lestrange. Avec un temps d’avance, le promoteur s’ouvre à la restructuration en créant une filiale dédiée – Rehagreen –, dont il assurera la direction aux côtés de celle d’UrbanEra, une offre à l’échelle du quartier.
Dans l’axe
L’aventure s’achève en 2020, peu avant le déclenchement de la crise sanitaire, dans un moment de transition dans la gouvernance du groupe. Cédric de Lestrange en ressort avec quelques convictions. « D’abord, que c’est le marché du redéveloppement qui m’intéresse le plus et qui sera le plus porteur à l’avenir. Ensuite, qu’un promoteur-rénovateur doit fonctionner sur deux jambes : le logement et le bureau. Enfin, qu’il est temps de lancer un projet entrepreneurial. » Ces trois cases, il va les cocher à l’été 2020, quand il rencontre Alain Beynet et Alain Delaporte.
Les deux fondateurs d’Axe Immobilier sont à la recherche d’un directeur général qu’ils veulent associer et à qui ils espèrent confier l’avenir de cette PME créée en 1993 au plus fort de la crise immobilière. « J’y ai trouvé un savoir-faire éprouvé, un fonctionnement fluide et une très belle équipe, notamment technique », relate Cédric de Lestrange. Surtout, le nouveau directeur général d’Axe Immobilier apprécie le sens du risque et la notion de cycle. « Bien développer, c’est développer à contrecycle. C’est ce qu’Alain Beynet et Alain Delaporte ont réussi dans les années 1990 et 2000. C’est ce qui a été fait à Montrouge, puis pendant la crise sanitaire à Montreuil. C’est ce que nous relançons depuis neuf mois. » En clair, acheter au son du canon et vendre au son du violon.
Axe Immobilier est revenu sur le marché parisien, s’offrant « off market » le 111 rue Cardinet, le 7 rue de Surène et le 33 rue Miromesnil. Des immeubles rincés, mais superbement placés, sur lesquels le groupe entend bien créer de la valeur dans un marché qui cherche avant tout à en perdre le moins. « Nous restons prudents par nature, mais serons plus offensifs que beaucoup d’autres dans les mois à venir pour prendre la vague de la reprise. »
Devenu président d’Axe Immobilier et seul mandataire cet été, Cédric de Lestrange entame sa troisième vie, celle d’entrepreneur, avec « enthousiasme et optimisme » et avec la volonté de conforter la position d’Axe Immobilier comme « un développeur innovant pour que l’immobilier, résidentiel comme professionnel, soit efficace et durable, écologiquement comme patrimonialement ».
Une vie professionnelle qui vient s’ajouter à de nombreux engagements personnels. Il est notamment le cofondateur, aux côtés d’Anne Coffinier, de la Fondation Kairos abritée par l’Institut de France, dont la mission est de promouvoir de nouvelles pédagogies éducatives.
A-t-il le temps de tout faire ? Ce père de trois enfants, féru d’histoire, amoureux du patrimoine (sa femme, ancienne avocate, travaille pour la Sauvegarde de l’art français, la plus ancienne fondation soutenant le patrimoine), imprégné de culture cinématographique et passionné de lecture, est un bosseur. « Je fonctionne au mérite. » Et comme le dit si bien sa mère, « on va y arriver ».
*Géopolitique du pétrole, Éditions Technip, avec Pierre Zelenko et Christophe-Alexandre Paillard.